Perma- Signifie permanence.
-Culture Peut signifier les arts, autant que la culture agricole.
La permaculture est reconnue en tant que conception et préservation d’un système agricole qui respecte les même principes qu’un écosystème naturel résilient. Je trouve fascinant le potentiel de guérison environnementale qu’offre cette approche à la production. De façon pratique, il s’agit de nourrir d’abord tous les organismes d’un écosystème afin d’en récolter une nourriture pour l’humain qui est elle-même enrichie et bénéfique pour la santé.
Étant artiste avant tout, il m’importe d’explorer le potentiel de la pensée permaculturelle dans un contexte de création artistique. Cela me confronte à une contradiction : comment s’assurer que le contenu de nos créations soit à la fois complètement écologique, tout en étant résistant et durable à très long terme? Je découvre parfois des solutions, parfois des compromis.
J’ai identifié certaines notions qui pouvaient être appliquées dans un contexte de production générale, sans que celle-ci soit nécessairement agricole. Ces notions ont été déterminées par l’un des pères de la permaculture, Bill Mollison.
- Observer et interagir
- Utiliser des ressources renouvelables
- Ne pas produire de déchets
- Valoriser la diversité
Voici mon interprétation personnelle et subjective de ces notions, pour ma pratique en peinture d’observation.
Observer et interagir
Observer son environnement et interagir de façon à l’optimiser en concert avec ses aptitudes ou ses tendances naturelles… J’interprète ceci en deux questions. La première ancrée dans ma démarche artistique, qui se base sur la peinture d’observation, et la deuxième plus technique:
Comment représenter la complexité de mon environnement en peinture?
Personnellement, je choisis de peindre mon environnement tel quel plutôt de d’en créer un artificiel, autant que possible : j’aime travailler à partir de la lumière du jour, ou d’utiliser l’éclairage du soir tel qu’il était installé avant que je songe à peindre un espace. Je vais déplacer des objets qui étaient déjà présents dans mon environnement, ou y peindre des gens qui connaissent le lieu, le fréquentent ou on participé à sa création. Ma perception est que le résultat sera représentatif de l’atmosphère d’un endroit complexe, et l’impact de la peinture sera révélée au fil de sa création plutôt qu’entièrement planifiée à l’avance de ma part. Y demeurera une part de force et d’information liées à une accumulation de temps et d’éléments qui m’échappent. Les organismes vivants placés dans un environnement auquel ils sont attachés permettent en eux-mêmes de raconter une histoire.
Je pense aussi à l’histoire de l’art du lieu où je me trouve. Que faisaient les peintres qui ont vécu dans ce coin du monde avant moi? Quels outils utilisaient-ils? Quelles couleurs?
Cette question me permet d’orienter certaines décisions vers des outils ou des choix qui ancrent ma création dans un contexte historique, ce que je trouve personnellement nourrissant.
Quel est mon environnement de création?
Ici je pense en termes techniques et pratiques. Si je n’avais pas accès à un magasin d’art, quels seraient les médiums ou les outils que m’offriraient mon environnement? Cette question peut nous amener vers de nouvelles explorations excitantes.
Exemple:
Lors d’une résidence artistique en Thaïlande, je n’avais pas accès à une boutique d’art. Par nécessité, mes surfaces de peintures sont devenues des bouts de bois trouvés sur la plage ayant appartenus à des bateaux de pêcheurs, ainsi que des boites en carton servant à la poste. je les préparais avec une sorte de colle à base d’eau (si on fait chauffer eau, farine et de sucre ou vinaigre, avec une touche de clou de girofle ou d’huile de pépins de pamplemousse pour éviter qu’elle ne tourne, on obtient une colle maison non-toxique). À noter que si on a accès à de la gélatine, une colle à base de gélatine et d’eau est nettement recommandé plutôt que l’autre colle maison pour préparer une surface de création qui sera durable. La colle la plus prisée par les peintres de la Renaissance était à base de peau de lapin, une colle non-toxique qui a fait ses preuves dans le temps.
Je ne m’oppose pas à des surfaces qui ne sont pas naturelles, surtout si elles trainent autour de moi et seraient autrement des déchets, très présents en ville: vieilles pancartes en métal, écrans ou autres électroniques usés, etc. Par contre, certaines surfaces lisses telles que les écrans électroniques nécessitent d’être préparées avec un médium ou gesso acrylique avant de recevoir la peinture à l’huile.
Utiliser des ressources renouvelables
J’explore de plus en plus les matériaux issus de ressources renouvelables. Les papiers soit recyclés, ou faits à partir de substances qui ne sont pas issues des arbres. Exemples parmi d’autres:
-Le papier Terraskin (https://design-and-source.com/terraskin-othersustainablematerials) fait à partir de roche, est entre autres imperméable, difficile à déchirer, et résiste aux moisissures. Il s’offre en plusieurs épaisseurs et peut servir de surface à dessin ou à peinture. Impressionnant! À noter qu’il n’est pas très poreux, ce qui rend certains médiums comme le fusain plus difficiles à adhérer. Par contre, bémol: la poudre de roche serait mélangée à une très petite quantité de polyethylene haute-densité (oui, une forme de plastique). Ce plastique est facilement recyclable, mais ce papier pourrait ne pas être la solution la plus écologique suggérée ici- il a pour principal avantage de protéger nos forêts, ce qui n’est pas négligeable.
-Le papier fait à partir de pulpe de canne à sucre appelée bagasse (https://www.gojo.co.jp/en/product/hybridbagasse), plus difficile à trouver, plus fragile, mais semble une belle alternative. Certaines recettes incluent aussi des déchets agricoles, ce qui est une excellent façon de dépolluer-car il est facilement biodégradable. Je le recommande surtout pour des esquisses plutôt que des oeuvres d’envergure.
-Le papier fait à partir de chanvre (https://www.greenfieldpaper.com/hemp_paper.asp) circule déjà beaucoup et s’apparente selon moi le plus au papier d’art à partir d’arbre que nous avons l’habitude d’utiliser. Sa création nécessite 20 semaines plutôt que 20 années pour un arbre, on peut en produire davantage sur la même superficie de terrain, et il peut être recyclé 10 fois plutôt que 3 pour le papier à partir d’arbre. Cette production est environ dix fois moins polluante que celle à partir d’arbres.
Pour la peinture, j’aime de plus en plus les panneaux d’argile. Ampersand (https://ampersandart.com/claybord.php ) en vend des très beaux, mais très chers, et il est possible d’en fabriquer soi-même. Je souhaite trouver la recette parfaite, ce qui n’est pas encore le cas, et je ferai un article avec ma découverte. C’est une surface extrêmement absorbante, donc habituellement déconseillée pour l’huile. Elle conserve une trace de tout ce qui la touche . Personnellement, j’aime au contraire cette absorption, je trouve l’expérience poétique, mais il devient pratiquement impossible d’effacer un coup de pinceau, donc pour peintres avertis.
Le coton, le lin, sont toujours des matériaux très pratiques à utiliser. S’ils sont utilisés avec des médiums naturels (pas acryliques) ils sont biodégradables. Avant d’acheter des panneaux de bois, j’essaie d’utiliser ceux qui existent déjà chez moi: tablettes, meubles, tables, etc. que je n’utilise pas.
Au Mexique l’an dernier j’ai découvert des carnets dont la couverture était faite d’un cuir de fruits: c’est-à-dire des fruits déshydratés, bouillis, puis aplatis de façon à créer un carton durable qui ne pourrira pas, mais sera facilement biodégradable le temps venu. Des étudiants de Rotterdam ont inventé une recette similaire pour faire des sacs ( fruitleather.nl) une surface intéressante à essayer pour des esquisses ( ou peut-être des oeuvres plus complexes, mais le risque demeure quant à la longévité réelle du matériel en situation d’exposition, qui aurait besoin d’être testée au fil des ans).
Et la peinture?
L’acrylique est fabriquée à base de polymères: c’est un plastique. Elle n’est donc pas conseillée dans une perspective de pratique écologique. L’huile contient souvent des pigments toxiques qui sont aussi déconseillés.
La peinture à l’huile et elle fait partie intégrante de ma pratique. Ma solution: travailler à l’huile avec des pigments non-toxiques, sans solvent, ainsi qu’à l’encre et à l’aquarelle naturelle.
Ne pas produire de déchets
Comment ne pas produire de déchets lorsque l’on peint à l’huile? C’est une question difficile. D’abord, pour des raisons de santé, j’ai cessé d’utiliser du solvant, qui est l’ami le plus toxique de la peinture à l’huile. L’huile de carthame peut remplacer le médium traditionnel (huile de lin + solvant) si elle est utilisée en petite quantité. Il existe aussi aujourd’hui des médiums sans solvents sur le marché, notamment offerts par la compagnie Gamblin.
Les pigments toxiques tels que le cobalt, le cadmium et le plomb sont, comme le solvant, aussi nocifs pour la santé que pour l’environnement. J’ai cessé de les acheter. Mes pots de solvants sales et remplis de pigments toxiques de jadis sont ainsi devenus des pots d’huile de carthame contenant des pigments non-toxiques. Ceux-ci ne peuvent pas nourrir un compost habituel sans être testés, donc pour éliminer tout déchet, je tente l’expérience de les verser dans un substrat de champignon pour décomposer les résidus polluants qui pourraient s’y trouver (je vous informerai de l’évolution de l’expérience).
Évidemment, je déconseille les palettes jetables: les palettes en bois ou en verre fonctionnent de toute façon beaucoup mieux et durent très longtemps si on les nettoie après chaque usage.
Reste le fameux papier à mains pour essuyer le pinceau. Même chose ici: si l’huile pigmentée peut être versée en nourriture aux champignons, un papier à main recyclé et taché pourrait à son tour être ajouté au substrat (je teste et vous reviens). Sinon, mieux, on peut utiliser des torchons, que l’on peut faire tremper dans un bassin avec du bicarbonate de soude, puis laver à la main avec du savon à lessive (Ne pas mettre dans la sécheuse! Huile donc risque d’incendie) puis laisser sécher, et réutiliser. Afin d’éviter que les torchons ne sèchent trop tôt et ne deviennent durs et croûtés, on peut les conserver scellés dans des sacs entre les séances de peinture (ainsi que dans un contenant en métal ou céramique non-combustible ).
Valoriser la diversité
Mon application ici est davantage philosophique. J’aime l’idée de valoriser la diversité dans la source de mes outils et médiums de création. C’est pourquoi je me rebute à l’acrylique, qui est incroyablement polyvalent, mais dont toutes les variantes, additifs, médiums, contiennent à la source... une forme de plastique.
En valorisant la diversité dans la source de nos médiums, on contribue à ne pas user en grande quantité la même ressource naturelle; cette quête mène bien souvent à un résultat plus écologique, tout en créant dans l’oeuvre elle-même un équilibre d’éléments. Certains artistes cherchent à se rapprocher d’une balance du Wu Xing (les cinq éléments: eau, terre, feu, bois, métal). Un exemple ici serait: peinture sur bois avec encaustique, travaillée à la palette de métal (bois, feu, terre, métal) ou alors aquarelle, fusain et peinture à l’huile sur papier (eau, feu, bois, terre)...etc. Équilibrer le Wu Xing est un exercice intéressant qui peut mener à un résultat plus vibrant, plus vivant, et générer des combinaisons gagnantes.
Conclusion
Le principe de la permaculture, perçu comme un grand espoir de notre guérison environnementale, peut être appliqué à divers aspects de notre vie.
Je dirige activement ma pratique artistique vers des pratiques plus écologiques, ce qui a allégé mon portefeuille, mes préoccupations de santé, et a transformé subtilement mes oeuvres vers des explorations plus novatrices.
À l’été 2020, j’entreprendrai un certificat en permaculture avec l’organisme P3 Permaculture, qui offre aussi tous plein d’ateliers au fil de l’année, à Montréal. Consultez leur site et joignez vous au changement : https://www.p3permaculture.ca/
J’aimerais ouvrir une discussion: si vous avez d’autres trucs écologiques à partager, merci de laisser un commentaire!